samedi 12 janvier 2008

PASKUA, l'expressionnisme devenu culte, par Arnau Puig



Paskua est un artiste né en France dans une ville portuaire, Rouen, qui essaya les Beaux-Arts à Paris, et résida longtemps sur l'île italienne de Sicile. Puis il entreprit un voyage en solitaire sur un petit bateau à voiles jusque dans le Pacifique Sud vers ces petites îles que la France tient encore comme des territoires intégrés de la francophonie ultramarine. Là-bas, une Princesse native l'accueille et depuis l'accompagne partout lors de ses expositions et soutient la qualité et la sincérité des oeuvres qu'il réalise, inspirées tout spécialement des réalités naturelles et de la psychologie du lieu qu'ils habitent ensemble.
Au début de cet article j'ai écrit "artiste", et je l'ai fait avant de vous rapporter le petit historique que l'on m'a raconté à l'occasion de leur séjour à Barcelone pour la magnifique exposition présentée dans les salles du Reial Cercle Artistic. J'ai effectivement écrit "artiste" parce que les oeuvres que j'y ai découvert n'ont pu être créées que par un artiste, par une personne d'une sensibilité trés spéciale, remarquablement cultivée et trés ouverte. Paskua ne peint pas parce qu'il a appris à peindre - bien qu'il l'ait fait - mais parce que pour lui, peindre, c'est exprimer au travers de sa sensibilité ses idées sur l'existence et le monde qui l'entoure. Paskua vit, voit et entend le monde. Et il y parvient en s'accordant toute la liberté créative que lui a apporté l'art du XXème siècle, depuis l'expressionnisme, le fauvisme, le cubisme, le surréalisme et l'informalisme, tout ce qui pu former sa sensibilité aux pratiques artistiques et, pour que sa pratique expressive soit encore plus authentique, en utilisant les moyens que lui offrent ses conditions de vie dans un contexte humain et culturel particulier, comme c'est le cas de se confronter aux cultures "primitives, qu'il connait de l'extérieur et qui lui sont étrangères - malgrè tout l'intérêt et l'affection qu'il a pour elles - tout en proclamant la nécessité, par contraste et par conviction, d'y affirmer la sienne et , par des moyens plastiques, ce qu'il croit être l'une des raisons et des justifications de la réalité de l'art: démontrer comment, du dehors comme du dedans d'une réalité culturelle donnée, l'on peut expérimenter, sentir, entendre, comprendre, interpréter ce que d'autres ont à dire - et vivre encore comme soi-même, puisque découvert à soi-même. Paskua y réussi pleinement et, en utilisant des vieux sacs de toiles à coprah comme supports de ses recherches et ses élaborations esthétiques, il nous le démontre. Les manières de transporter les choses dans ces contrées du Pacifique Sud sont encore assez simples et les produits sont emballés dans des sacs de toiles en fibres naturelles fermés par des lianes tressées de feuilles de cocotiers qui croissent partout. Ces éléments utilitaires, quand ils rentrent en désuétude, peuvent encore être utiles pour tout. Etripés, déchirés, usés, avec ses effilochures irrégulières, Paskua les a perçu chacun comme support idéal pour y fixer ses expressions sensibles, sensitives et charnelles. Le sac à la texture détruite dont la toile sert de support à l'acte artistique, avec son lacet fait d'un tressage de feuilles et l'étiquette d'origine encore attachée avec le nom du producteur, dont pas même le sens de la trame ne privilégie l'un ou l'autre côté de la toile, évoque le travail du sorcier, du chaman, celui qui révéle le sens de la vie et la vérité, et qui dévoile la connaissance originelle à ses fidèles, et qui conserve la mémoire des origines en métamorphosant les effilochures de la toile tissée en des noeuds-mémoires qui témoignent du lien qui les relie à la vie même. Avec une telle charge humaine et symbolique - au moins pour l'artiste impliqué dans un tel contexte culturel - la sensibilité occidentale du créateur s'oblige (au moyen de peinture, de collage de fragments de tissus d'origines diverses et avec d'autres éléments de matières organiques et corporelles encore - avec aussi la connaissance qu'il a du milieu dans lequel il travaille et la réflexion qu'il a du contexte culturel qui lui est propre) à mettre en forme ce qu'il croit devoir raconter et faire avec ces éléments expressifs. Les couleurs sont elles aussi signifiantes, spécialement les couleurs lumineuses, violentes, les rouges, jaunes, blancs, verts, bleus, noirs. Chacune d'elles est animée d'une charge symbolique qu'elle transmet aux traits violents et surabondant de ces formes allusives de corps humains ou d'animaux mélés à des résidus d'identités sociales marqués au pochoir comme au fer. Tout ceci provoque un tel impact que cela interpelle la sensibilté occidentale, qui s'interroge devant tant d'idées, et se métamorphose devant tant d'émotions, de sensations, de mémoires projetées. Mais tous ces éléments, chose curieuse, ne disent pas grand chose aux natifs anthropologiquement "purs" de ces îles: ils peuvent seulement entendre ce que leur conte le chaman, le seul autorisé à interpréter le monde et son histoire. Cette même constatation est significative tant pour l'artiste que pour tout ceux qui contemplent ses oeuvres. Parce que Paskua mêle tant de références culturelles et procéde de tant d'autres grands créateurs, sa lignée, que tous ces éléments complémentaires sont autant de repères er de guides pour s'orienter parmi ces toiles détruites, dures, abruptes, âpres et rugueuses, mais que l'on perçoit infiniment sensibles et discursives, comme des miroirs de l'âme et des sentiments. Il ne faut pas dire que l'oeuvre de Paskua soit si différente de celle d'un de ses prédécesseurs en ces contrées lointaines, Paul Gauguin. Mais c'est pour cette raison, quand on dit à Paskua qu'il est un "primitif", qu'il répond qu'il est bien plutôt un "tardif", comme celui qui souffrirait de la nostalgie d'une culture en crise. Ce qui peut-être affirmé c'est que cette oeuvre provoque un tel impact qu'elle nous emmaillotte dans une sensibilité exacerbée et des émotions d'une violence inouie - que nous ne pourrons jamais cesser de percevoir, de toute manière, que depuis notre "occidentalité". L'oeuvre de Paskua est merveilleuse. C'est l'expressionisme devenu culte.
Arnau Puig, novembre 2007. In Bolletin Reial Cercle Artistic Barcelona. Janvier 2008.


*Arnau Puig est né en 1926 à Barcelone. Philosophe et critique d'art, il est le co-fondateur du mouvement Dau Al Set ( la Septième Face du Dé) avec Antoni Tapiès, Joan Brossa, Joan Ponç, Modest Cuixart et Joan-Josep Tharrats. Dau al Set est considéré comme le premier et le plus important mouvement artistique de l'après-guerre espagnole en lutte contre le régime franquiste.